Quel Avenir pour le Quick Commerce ?
Quel est le potentiel de ce marché ? Quels sont les points forts/faibles du business model ? Quel positionnement pour espérer être rentable à terme ?
A l’ère des services à la demande et de l’instantanéité, le fast delivery ne cesse de se développer de par le monde. Au Maroc, Glovo et Jumia Food sont leaders du marché. Et, chaque mois, de nouveaux acteurs apparaissent (comme la startup algérienne Yassir ou le tunisien Lamma).
Dans un 1er temps, ces startups ont profité du changement des habitudes de consommation imposé par la pandémie pour développer des services de livraison rapide de repas. Aujourd’hui, les leaders du secteur s'intégrent verticalement afin de livrer également des produits de grande consommation à partir de leurs propres locaux, dits “dark stores”. Ces “magasins de l'ombre”, non-ouverts au public, sont des entrepôts de taille moyenne servant uniquement de point de stockage et de livraison. Les clients commandent sur l’application et se font livrer (à partir de ces points relais) leurs courses en moins d’une heure.
Ce que nous entendons par “Quick Commerce”, c’est cette combinaison entre la livraison express et les dark stores.
Voici quelques remarques sur le potentiel de ce marché et les caractéristiques du business model.
Un service adapté au marché marocain ? (Vue macro)
Le niveau d’activité des quick commerce est corrélé à plusieurs facteurs :
- La disponibilité et la densité des commerces de proximité, elles-mêmes conditionnées par l’architecture urbaine et le prix de l’immobilier commercial.
- la rudesse du climat (extrêmement chaud comme au Moyen-Orient ou extrêmement froid comme en Amérique du Nord) qui n’encourage pas les individus à s’aventurer dehors.
- Le taux d’emploi (car limite le temps disponible pour faire des courses ou cuisiner)
- Le taux d'urbanisation (64% au Maroc) et la densité (84 habitants/km2).
Or, le Maroc dispose d’un climat modéré, une profusion de commerces de proximité et une classe moyenne restreinte. Il n’est, à priori, pas un marché idéal.
Cependant, tout comme c’est le cas avec Uber et le transport des personnes, le fast delivery est un business de villes plutôt que de pays. Il s'agit de contrôler le portfolio de mégalopoles dont la densité permet de mieux amortir les coûts fixes. De disposer des entrepôts dont le périmètre de livraison permettra de servir un maximum de clients tout en réalisant un maximum de livraisons par heure.
Dans ce cadre, une mégalopole à forte densité telle que Casablanca (avec des pointes allant jusqu’à 15 000 habitants/km2) se prête bien à une telle activité.
Value proposition
Le quick commerce permet de disposer d’un produit rapidement et sans effort. La proposition de valeur est donc la commodité et le confort.
➡️ Or, si la valeur ajoutée était perceptible concernant les repas, elle l’est moins concernant les produits de grande consommation. La sensation de faim donne lieu à un besoin qui doit être assouvi au plus vite. Il s’agit également d’un besoin fréquent et généralisé (3 fois par jour pour le commun des mortels). Cependant, la liste des produits dont on peut avoir absolument besoin en moins de 30 minutes me semble limitée en nombre et ce besoin est souvent non-récurrent.
➡️ Il importe également de se demander à quel point la rapidité est valorisée par les consommateurs. Sur ce point, les fondamentaux de la distribution restent stables à travers le temps et l'espace. Lorsqu'il s'agit d'effectuer des achats pour les besoins du foyer, le choix des consommateurs est basé sur les 4 mêmes critères :
- l'offre la plus large possible.
- les prix les plus bas possibles.
- la meilleure qualité possible.
- l'expérience d'achat (sur place ou à la livraison) la plus intuitive et rapide.
Or, la majorité des études à travers le monde montrent que les 2 premiers critères sont les plus importants dans l'esprit du consommateur. L'expérience d'achat et le délai de livraison ne sont souvent cités qu’en 3ème ou 4ème position.
➡️ La nature même du modèle semble favoriser les paniers de faibles quantité/valeur :
- Corrélation entre la quantité de produits à acheter et la prédisposition à se déplacer (“pourquoi faire un aller-retour et perdre 30 minutes alors que j’ai juste besoin de détergent et d’une serpillière ?”).
- Le chiffre varie en fonction de la taille, mais généralement un Dark store dispose de 1500 à 2000 UGS (Unités de Gestion de Stock). Soit 10 fois moins de références qu’un supermarché de taille moyenne.
- L'usage de véhicules légers (moto/scooter/vélo) afin d'éviter les embouteillages et livrer plus rapidement signifie également que, pour être transportables, les commandes doivent être de petite taille.
Nous sommes donc en présence d'une activité gourmande en capital fixe, avec une proposition de valeur limitée (la rapidité), un panier moyen faible et une fidélité client aléatoire (le client peut changer de plateforme sans coûts ni pertes).
Bien que ces services aient trouvé une demande à assouvir, ils sont donc encore à la recherche d'un business model viable et scalable.
Le playbook classique
Le quick commerce est parti pour s’installer durablement dans les habitudes de consommation. Au niveau mondial, l'évolution de ce marché pourrait suivre les cycles suivants :
1️⃣ Phase d'expansion (période actuelle) : Une pléthore d'acteurs, financés par du capital risque, "créant" un marché et "achetant" des parts de marché à travers des politiques tarifaires agressives, quitte à fonctionner à perte.
2️⃣ Émergence de leaders : Les gagnants seront ceux capables de contrôler les emplacements les plus stratégiques (moindre concurrence des commerces de proximité, densité de clients autour du périmètre de livraison, population à pouvoir d'achat élevé) et de mieux exploiter la technologie (prévision de la demande, optimisation des stocks, modulation des prix, préparation des commandes, livraison etc…).
3️⃣ Phase de consolidation : Un tel modèle, basé sur des marges faibles, nécessite de gros volumes d'activité pour espérer être rentable. Il sera probablement à terme de nature oligopolistique. Pour cela, il passera par une phase de consolidation où les leaders disposant d'appuis financiers solides rachèteront les acteurs de moindre taille et disposant d'actifs complémentaires (technologies, data, portefeuille clients/villes, infrastructures physiques, renforcement du pouvoir de négociation vis-à-vis des fournisseurs etc).
4️⃣ Matérialisation des gains : Une fois le marché consolidé, le besoin de redresser les marges passera certainement par une hausse des tarifs de livraison ou l’imposition de commandes minimum. Malgré cela, la possibilité que ce business ne soit pas profitable même à moyen-long terme existe (comme pour Uber). Des introductions en bourse pour lever davantage de financement seraient alors nécessaires (comme pour Uber).
Le modèle gagnant
Les remarques précédentes ne signifient pas pour autant qu’il s’agit d’un business défaillant. Mais il faudra un positionnement très fin pour tirer son épingle du jeu. Voici quelques pistes :
➡️ Les produits frais et périssables doivent être vus comme des produits d’appel : sûrement apporteurs de faible marge, mais nécessaires au catalogue et servant de point de départ vers l’achat d’autres produits. Trouver le modèle idéal (gestion optimale des stocks, circuit d’approvisionnement courts) pour limiter les pertes sur ce segment sera clé.
➡️ Une augmentation de l’offre de produits non-périssables :
Ceux ayant un taux de rotation élevé, notamment les produits non-différenciés (où le consommateur est indifférent à la marque) sur lesquels le distributeur peut réaliser une marge supérieure.
Ceux ayant un taux de rotation faible, mais pour lesquels le consommateur est disposé à payer un premium (Soirée improvisée et besoin d’alcool ? Câble de recharge ou batterie de téléphone qui soudain ne fonctionnent plus ? Besoin urgent d'un médicament?). Car si l’on reprend nos 4 critères (voir plus haut), l'urgence ponctuelle est le seul contexte où le consommateur privilégie la rapidité au détriment du prix et de la largesse de l’offre.
➡️ En parallèle, continuer à intégrer d’autres acteurs sur la plateforme pour générer plus de volume d'activité. Tant au niveau de l'offre (boucheries, boulangeries, fruits & légumes, afin de complémenter l’offre de produits non-périssables) que de la demande (entreprises).
➡️ Développer la defensibility du service : 1/ Un portfolio de dark stores dans des emplacements stratégiques et ne pouvant être reproduit qu’à travers des investissements lours peut être vu comme une barrière à l’entrée. 2/ Optimiser le taux de rétention et la fréquence d’achat des utilisateurs via des outils tels que Prime (forfaits mensuels pour livraisons illimitées). 3/ Un système de points pour récompenser la fidélité des commerces partenaires et optimiser leur taux de rétention et d’usage de la plateforme ?
➡️ Continuer à innover au niveau des services offers aux différentes parties prenantes : Des outils de ciblage et marketing pour les commerçants ? Du yield management pour moduler leurs prix en fonction de certains paramètres ? Possibilité pour le client d’être livré à l’heure de son choix (“Demain à 21h à mon arrivée à la maison”) ?
Conclusion
Nombre d’analyses présentent les acteurs du quick commerce comme “les nouveaux supermarchés virtuels”. Mais, sur la base des remarques précédentes, il me semble que ce service est surtout destiné à concurrencer les épiceries et supérettes de quartier, les magasins des stations-services et autres commerces liés aux achats d’urgence en quantités limitées.
Plutôt qu'un marché donné, je vois surtout ces services de Quick Commerce associés à une problématique et un créneau horaire spécifiques dans l'esprit du consommateur : les imprévus et urgences entre 20h et 2h du matin.
Cependant, l'absence d'avantages concurrentiels durables signifie qu'ils restent à la merci des supermarchés. Ces derniers disposent déjà des réseaux physiques, d'une offre plus large, une meilleure capacité de négociation avec les fournisseurs (grâce à l'effet volume) et une surface financière qui leur permettrait de rapidement déployer un service de livraison ultra-rapide.
Remarques complémentaires :
- Je m’interroge sur le bien-fondé de la course effrénée à la livraison la plus rapide possible. 20 minutes proposent certains! D'autres promettent même 10 minutes!!! Or, toutes les études que j’ai pu voir montrent que, au-deçà de 30 minutes, la satisfaction du client est insensible au délai de livraison.
- 2 risques souvent sous-estimés :
Tout d’abord, s’agissant de plateformes d’intermédiation faisant appel à des livreurs indépendants (tout comme le faisait Uber avec ses chauffeurs), le risque que ces derniers doivent être légalement reconnus comme employés est réel. Ce qui renchérirait les coûts de livraison.
Ensuite, s'agissant d'applications pour smartphone, il existe une dépendance envers le duopole iOS & Android. Toute hausse des commissions que ces derniers prennent sur les paiements effectués à travers leurs plate-formes réduirait les marges (déjà bien faibles) des acteurs du Quick Commerce.
- Sources des statistiques : HCP, ONU, TradingEconomics, TMB.